so they're asking what we need: we need images (fantasies, fantasmata) too, fantasmata of our own- [GC, sept. 2011]
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http://www.revue-analyses.org/index.php?id=1356
Marie-Laetitia Garric: Anti-utopie et «virtualisation» du réel dans Homo Zapiens de Viktor Pelevine
Résumé
Homo Zapiens, le roman de Pelevine, se présente comme une anti-utopie dans la Russie postsoviétique. À travers un héros naïf qui tente de s’adapter au capitalisme, on découvre la nouvelle réalité sociale de la Russie en même temps que sa virtualisation par les médias. Le héros devenu rédacteur publicitaire invite à suivre un deuxième parcours, celui de la conception des slogans qu’il ne cesse d’inventer. La truculence et l’imbrication des signifiants se font de plus en plus vives dans le roman jusqu’à provoquer un emballement du signe. Le récit invite donc à deux lectures parallèles : une anti-quête de la réalité par un personnage naïf dans lequel on reconnaît la société russe prenant progressivement conscience de sa nouvelle situation dans les années 90; et un étiolement de la langue dans les différents slogans publicitaires. Le roman pose ainsi la question du réel de la Russie postsoviétique comme un vide sur lequel le pays doit reconstruire son identité.
Abstract
Pelevin’s novel Homo Zapiens is a dystopia set in post-soviet Russia. Through the eyes of a credulous hero who tries to adapt to capitalism, the reader discovers the social reality of Russia and its virtualisation by the mass media at the same time. The story then follows the hero through his life as an advertising writer, in particular the creation process of the slogans which he constantly invents. The vividness and the interweaving of the signifiers are gradually increasing in the novel until reaching the point where the signs are almost spinning out of control. The narrative offers two parallel readings: an anti-quest of reality by a naive character which embodies the Russian society becoming gradually aware of its new situation in the 90’s; and the decline of language in the different advertising slogans. The novel thereby portrays the reality of postsoviet Russia as a void on which the country must re-build its identity.
Dans les années soixante, un nouveau type d’écriture fait son apparition dans la littérature soviétique underground avant de se manifester ouvertement et plus radicalement durant la perestroïka. Miroir des incertitudes d’une URSS chancelante, ces romans se présentent comme une réaction contre la tradition littéraire russe et soviétique. Certains écrivains transgressent les tabous, comme Vladimir Sorokine, que l’on surnomme le « Sade russe » (Mozur, 2002, p. 60); d’autres narrent le désir érotique illimité, comme Viktor Erofeev dans Ruskaja krasavitsa (La Belle de Moscou) (1994, 1993). Au début des années quatre-vingt-dix, ces romans se sont vus regroupés sous l'étiquette de « postmodernisme russe »1. Essayant de trouver le point commun aux œuvres associées au postmodernisme russe, Catherine Géry donne la définition suivante :
Le texte postmoderne s’écrit en fonction d’un tissu littéraire déjà existant, il est conçu pour être lu avec en arrière-fond le modèle auquel il se réfère. Le postmodernisme russe apparu dans les années soixante sera donc en partie une réponse plus ou moins parodique au réalisme socialiste qui le précède, considéré dans sa réalité textuelle, récupéré, décontextualisé, muséifié. Dès les premiers débats théoriques sur la notion, la problématique du post-modernisme est généralement rattachée aux œuvres qui prennent le réalisme socialiste pour modèle ou objet. (2004, p. 229)
1Le postmodernisme apparaît aussi comme une réponse à la littérature du dégel et des dissidents, qui recherche la vérité à travers les mensonges du système. Le postmodernisme considère que l’humanisme de la dissidence et le pseudo-humanisme du réalisme socialiste sont deux résurgences de la littérature russe du XIXe siècle, qui se veut réaliste et anthropocentriste. Le postmodernisme russe cherche donc à mettre fin à toute représentation réaliste et à rompre avec l’idéal de l’écrivain servant de guide spirituel pour le peuple. Ce courant réécrit, en le parodiant, le réalisme socialiste, tout en prônant une littérature qui ne soit plus porteuse de valeurs morales univoques.
2Après la chute de l’URSS, l’écrivain Viktor Pelevine ne tarde pas à se faire remarquer par ses satires de la société soviétique et postsoviétique dans la veine du postmodernisme. Provoquant de houleux débats parmi les critiques et dans l’establishmentlittéraire russe — plus soucieux de renouer avec une littérature sérieuse et morale —, Viktor Pelevine, avec ses jeux sans fin sur le folklore russe, le réalisme socialiste, la société soviétique et la culture américaine, fait figure d’écrivain à scandale.
3Convaincu que la disparition de l’URSS a laissé la Russie désemparée et constatant l’absence d’un pouvoir politique stable et défini (Meier, 1999), Pelevine estime que la Russie doit désormais vivre sur du vide. C’est ce néant qu’il représente dans ses romans en montrant des personnages condamnés à vivre à la limite entre deux états, entre l’homme et l’insecte dans Zhizn’ nasekomyx (1997; La Vie des insectes, 2005), ou bien entre deux empires déchus dans Čapaev i pustota (1996; La Mitrailleuse d’argile, 1997), où le personnage principal mène deux vies parallèles, l’une dans la Russie postrévolutionnaire de 1917 et l’autre dans la Russie postsoviétique des années 1990. Generation П 2 (Pelevin, 2003), paru en 1999, est le récit des aventures de Tatarski, jeune homme né dans les années soixante-dix, qui tente de comprendre la nouvelle réalité du monde postsoviétique. Le monde apparaît au lecteur à travers le regard de Tatarski dans un jeu « d’étrangisation3 » lié à la naïveté du héros qui n’a d’autre moyen pour comprendre la réalité que de la questionner et de l'expérimenter. Après avoir brièvement tenté une carrière littéraire (le récit parodie l’intelligentsia), Tatarski décide de s’adapter à la nouvelle réalité capitaliste en mettant son talent d’écrivain au service de la rédaction publicitaire. Il devient ainsi creator. Gravissant les échelons du succès, il pénètre progressivement les coulisses de la télévision pour découvrir que tous les événements politiques et sociaux présentés au pays sont en réalité des créations virtuelles contrôlées par les différentes sections de l’organe de télévision. En bon postmoderne, Pelevine n’hésite pas à jouer avec le simulacre de Baudrillard. La nouvelle idéologie qui gouverne ce monde est celle de la consommation et de l’argent. Les rédacteurs publicitaires de la télévision doivent inculquer à la population l’envie de consommer en provoquant des « wow impulsions » (Z, p. 110) qui stimulent leurs désirs. Dans la dernière étape de son parcours, Tatarski découvre que la personne qui régit tout cet univers n’est pas un pouvoir politique, ni un homme politique, ni une transcendance spirituelle, mais une déesse virtuelle et désincarnée qui contient dans son corps immatériel l’ensemble des images virtuelles. Tatarski découvre qu’il doit devenir le mari de cette déesse en devenant lui-même virtuel. Scanné et numérisé en image 3D, le héros sort du cadre de la réalité pour devenir une existence virtuelle. Enfermé dans l’écran de télévision, il tourne à vide, à la fois dieu tout-puissant aux pouvoirs illimités et mort à l’existence sensible.
4Dans les romans précédents de Pelevine, les personnages restent enfermés dans l’entre-deux des mondes et des systèmes, et n’apprennent jamais quelle est l’instance qui dirige la réalité. Or, Homo Zapiens se présente comme un parcours initiatique où le héros franchit les étapes qui le mènent à la connaissance finale : loin de connaître une libération par cette connaissance, il comprend qu’il est piégé par la réalité. Le jeu avec le virtuel est une façon de représenter la culture capitaliste et le sentiment de leurre que provoque la réalité visuelle construite par un pouvoir qui semble omniprésent. Ce roman est une réflexion très contemporaine sur la manipulation de la réalité dans le monde capitaliste. Mais cette interrogation sur le réel va plus loin en posant la question du langage. Deux lectures du roman semblent pouvoir être faites en parallèle : d’un côté, la découverte de l’instance qui crée la réalité; de l'autre, la destruction progressive de la cohérence du langage, dans un glissement permanant des signifiants au gré des différents slogans publicitaires conçus par le héros. Dans un monde où le mot n’a plus prise sur le réel, le virtuel semble acquérir de plus en plus d'emprise sur les hommes. En donnant à voir un pouvoir politique virtuel, le roman pose aussi la question brûlante de l’identité russe dans la période postsoviétique.
Anti-quête de la réalité
5La narration de Homo Zapiens reprend les archétypes du roman d’apprentissage et, parfois, du conte. Le parcours initiatique que suit le personnage permet d’aborder la réalité avec un regard naïf. Par des questions personnelles et les réponses des autres personnages qui se présentent comme des adjuvants, le héros découvre progressivement l’essence de la réalité postsoviétique, dans sa dimension sociale et existentielle. Le réel apparaît au fur et à mesure que les yeux du personnage se dessillent. Mais le parcours se clôt par la découverte de l’instance virtuelle qui dirige le réel. La quête du héros devient ainsi une anti-quête. Au lieu d’accéder à une connaissance de la réalité et de lui-même, le héros se retrouve pour toujours prisonnier du monde virtuel. L’anti-quête du personnage se construit selon différentes modalités : l’ironie du narrateur, le dessillement des yeux du personnage sur la réalité sociale et existentielle, son adaptation à la société capitaliste et, en définitive, le caractère circulaire du texte.
6Le narrateur installe dès le début du récit une distance ironique par des interventions incessantes et la reprise de mythes et de structures qu’il ne cesse de parodier, telle celle du conte : « Il est vrai qu’il vivait jadis en Russie » (Z, p. 13). Le début du roman reprend ainsi la structure stéréotypée du conte, tout en introduisant une modalisation par l’expression « il est vrai », marquant la distance ironique du narrateur. L’ironie, qui se poursuit tout au long du premier chapitre, invite à une attitude critique et sceptique vis-à-vis de la narration qui suit. Ainsi l’arrivée du capitalisme est-elle présentée sous la forme d’un spot publicitaire pour Pepsi :
L’une de ses [du capitalisme] cartes de visite était ce spot publicitaire de Pepsi qui, de l’avis d’un certain nombre de sociologues, représenta un tournant dans le développement de la culture mondiale. On y comparait deux singes. L’un buvait du « cola ordinaire », ce qui lui permettait de résoudre certains problèmes logiques avec des cubes et des bâtonnets. L’autre buvait du Pepsi et glapissait joyeusement en partant à la mer, en 4X4, enlacé avec des filles qui se foutaient visiblement de l’égalité des femmes (lorsque l’on entre en contact étroit avec des singes, il vaut d’ailleurs mieux ne pas penser à de telles choses, car l’égalité et l’inégalité sont aussi pénibles pour l’âme l’une que l’autre). » (Z, p. 14)
7La disproportion entre l’attente créée par « le développement de la culture mondiale » et l’apparition des singes dans la phrase, qui donne une image de régression de l’humanité, crée un effet humoristique. L’ironie de ce début de texte opère un renversement sur ce que l’on pourrait attendre. Il n’y a aucune avancée historique dans le passage de l’URSS au capitalisme. La différence entre les deux époques est nivelée par l’ironie.
8Le héros Tatarski lui-même est présenté comme un personnage de conte, candide, qui s’étonne de tout ce qu’il voit. Cette ironie propre au personnage se marque par un procédé d’« étrangisation » lié à la naïveté du héros qui découvre, sans le comprendre, le réel qui se déroule devant ses yeux. Le roman offre une compréhension progressive de la réalité à travers le regard du personnage qui voit de plus en plus la nouvelle division sociale de la Russie, d’une part, et, d'autre part, qui comprend comment fonctionne cette réalité. Voici comment Tatarski ouvre les yeux sur le nouveau monde capitaliste :
9Dès que l’éternité disparut, Tatarski se retrouva plongé dans le concret. Et il se rendit compte qu’il ignorait tout du monde qui s’était installé au cours des dernières années.
C’était un monde bien étrange. En apparence il n’avait pas beaucoup changé, à part qu’il n’y avait plus de mendiants dans les rues et que le cadre de la vie quotidienne — les immeubles, les arbres, les bancs dans les rues — semblait soudain vieillot et dégradé. On ne pouvait même pas dire que ce monde était d’une essence différente, pour la simple raison qu’il n’avait plus aucune essence. Une incertitude un peu effrayante régnait partout. Pourtant, les flots de Mercedes et de Toyota dévalaient les rues à toute vitesse avec, au volant, des costauds sûrs d’eux et de tout ce qui les entourait. Il y avait même une politique étrangère, à en croire les journaux. (Z, p. 20)
10Ce paragraphe reprend ironiquement les images les plus connues du passage de l’URSS au capitalisme : une réalité vétuste et l’arrivée des Mercedes. Mais ces clichés sont présentés à travers le regard d’un personnage qui ne voit pas encore le nouveau clivage social de la réalité postsoviétique, qui permet à une petite partie de la population de s’enrichir, laissant l’autre partie dans la pauvreté. Or, toute l’histoire de Tatarski va être justement son ascension sociale et sa compréhension progressive du nouveau clivage social. Ce cloisonnement est représenté par les deux extrêmes de la société entre lesquels il navigue : d’un côté, son ami Guireev, qui vit pauvrement dans une petite maison délabrée en périphérie de Moscou, et de l’autre, le groupe de magnats de la télévision dont il devient progressivement membre. Son regard s’affine peu à peu jusqu’à devenir un regard discriminant sur la réalité sociale. Au début du roman, il s’entraîne à en chercher les signes. Lorsqu’il va pour la première fois chez un client, il tente de repérer des indices de richesse :
11« Tout en gribouillant dans son bloc, il fit le tour de la pièce du coin de l’œil. Il n’y avait rien d’intéressant à l’exception d’une chapka de renne bleu qui avait dû coûter une petite fortune. Elle était posée sur l’étagère supérieure d’une vitrine vide. » (Z, p. 29) Dans les derniers chapitres du roman, sa compréhension de la réalité sociale est immédiate, au point qu’il est repoussé par la reconnaissance d'un signe d’appartenance à une classe sociale inférieure : « Les professionnels de la [télévision] ne regardent jamais, l’interrompit Tatarski en remarquant subitement le pantalon rapiécé de son interlocuteur. » (Z, p. 278) Son regard naïf du début se fait beaucoup plus observateur et critique. Le héros comprend que le monde postsoviétique est divisé en deux groupes et il est capable de détecter les signes de cette différence sociale, mais cela ne déclenche aucune réaction particulière chez lui.
12La naïveté du personnage permet aussi de faire surgir le réel dans une confrontation souvent violente qui souligne les souffrances sociales et l’agressivité d’une époque. Deux procédés sont ainsi utilisés. Parfois, Tatarski narre de façon indifférente certains faits de son époque. La disproportion entre l’horreur de l’événement et l’indifférence du héros crée un effet d’humour noir. Par exemple, lorsque Tatarski retrouve son ami Guireev, ils parlent de leurs connaissances communes en ces termes :
Un seul, Liocha Tchikounov, était parvenu à attirer momentanément l’attention sur lui : par une belle nuit étoilée de janvier, après s’être tapé quelques bouteilles de Finlandia, il avait fait un plongeon vers le coma éthylique dans une maisonnette pour enfants, au milieu d’un terrain de jeux, et était mort de froid. (Z, p. 49)
13Ou encore, lorsque Tatarski commence à travailler dans la publicité; alors qu’on s’apprête à tourner la dernière scène du spot, l’action est arrêtée par la phrase suivante : « Sergeï se disposait à partir à Yalta avec une équipe de tournage pour filmer le rocher final, lorsque le client fut retrouvé mort dans son bureau. » (Z, p. 32) La violence des événements ne semble pas avoir prise sur l’insouciance et la neutralité de ton du personnage. Ailleurs, Tatarski, insouciant des réalités sociales, se retrouve confronté à la brutalité et à la violence liées à la nouvelle segmentation de la société. Au volant de sa Mercedes, il demande à un passant de lui indiquer un magasin de chemises pour homme. Celui-ci lui répond : « C’était plus dur en Afghanistan. » Puis l’homme s’approche de Tatarski, et une seconde plus tard « un objet s’abattait sur la lunette arrière qui se couvrit d’une toile d’araignées de fêlures éclaboussées de mousse blanche » (Z, p. 229). Le fossé social qui sépare, d’une part, l’homme riche qui peut s’offrir le luxe de faire des boutiques de mode et, d’autre part, les vétérans de la guerre d’Afghanistan préoccupés par leur survie est rendu de façon poignante par l’incompréhension de Tatarski devant la bipolarisation de la société. La candeur de Tatarski offre à la misère sociale criante l’occasion de jaillir abruptement dans toute sa violence. La vitre fêlée de Tatarski représente à la fois le clivage social du Moscou des années 90 et l’animosité de la partie de la population lésée par la nouvelle reconfiguration économique. Appartenant aux riches, Tatarski est rejeté par la classe des laissés-pour-compte.
14Au fur et à mesure que l’œil du héros s’aiguise, celui-ci prend conscience du fossé social, et des moments de réalisme crus apparaissent dans le roman. La description passe progressivement du regard naïf à des descriptions réalistes, comme dans cette scène typique du paysage moscovite, que le lecteur découvre à travers le regard de Tatarski :
La vitre latérale de l’abri, brisée, avait été remplacée par un panneau publicitaire de la chaîne STS avec l’image allégorique de quatre péchés capitaux empoignant des télécommandes. Une vieille femme immobile, un panier sur les genoux, et un homme aux cheveux bouclés, dans une veste militaire ouatinée et une bouteille de bière à la main, étaient assis sous l’auvent. » (Z, p. 228)
15Si le regard de Tatarski s’ouvre de plus en plus à la réalité sociale, il découvre parallèlement ce qui domine et dirige le monde. Alors qu’au début du roman, comme un personnage de conte, il porte un regard innocent et interroge le monde et les êtres, il comprend progressivement les coulisses de la réalité. Dans les premiers chapitres, le héros se pose des questions :
Tatarski finit par s’emmêler totalement dans ces réflexions. D’un côté, il comprenait qu’Edik et lui fabriquaient un faux panorama de la vie […], en se fondant seulement sur l’intuition de ce que les clients potentiels allaient acheter ou non. Mais, d’un autre côté, leur vie n’était qu’une tentative frustrée pour s’approprier les objets proposés dans ce panorama. Dans une certaine mesure, c’était aussi stupide que d’essayer de s’enfuir dans le trompe-l’œil du mur. Tatarski supposait, cependant, que la richesse donnait la capacité de s’abstraire de la fausse réalité : on pouvait quitter les limites du panorama obligatoire des pauvres. (Z, p. 278)
16Plus loin, le héros s’entend répondre :
Tout ce que je veux dire pour l’instant, c’est qu’il ne faut pas se demander « qui » commande le monde, mais « quoi ». Ce sont des facteurs et des impulsions qu’il n’est pas encore temps pour toi de connaître. Bien que, mon vieux Baby, tu ne puisses pas les ignorer. C’est un grand paradoxe… (Z, p. 224)
17Le collègue de Tatarski fonctionne ici comme un adjuvant qui aide le héros dans sa quête. Mais le désir du héros de comprendre le réel devient une appréhension au fur et à mesure qu’il voit apparaître le néant de la signification de ce monde. Il se dit qu’il est plus facile de vivre sans comprendre comment fonctionne la réalité.
18De là, le roman passe peu à peu de la naïveté vers le cynisme. La distance ironique du narrateur sur son héros candide du début du roman évolue vers un effacement de la distance entre narrateur et héros. Cela apparaît dans des phrases qui ne permettent pas de distinguer s’il s’agit d’une intervention du narrateur ou d’une pensée du héros. Comme dans le passage suivant :
Il arrive parfois que l’on passe dans une Mercedes blanche devant un arrêt de bus, que l’on voie des gens qui attendent avec persévérance depuis Dieu sait combien de temps et que l’on remarque soudain que certains d’entre eux vous jettent des regards troubles et même envieux. Et l’on imagine, un bref instant, que cet engin […] est en effet un trophée qui témoigne d’une victoire finale et définitive sur la vie. Alors, on se sent parcouru par un chaud frisson, on détourne fièrement la tête de ceux qui espèrent leur improbable autobus et l’on décide pour soi-même que toutes les épreuves traversées ne l’ont pas été en vain et qu’on a réussi sa vie.
C’est ainsi que le wow-facteur anal agit dans nos âmes, mais Tatarski ne parvenait pas à ressentir son chatouillement délicieux. Sans doute était-ce dû à l’apathie particulière qui s’empare de la plèbe serrée aux arrêts de bus par temps de pluie. (Z, p. 227)
19La tournure impersonnelle brouille la distinction entre narrateur et personnage. Quittant la distance ironique installée au début du récit vis-à-vis de la candeur de son héros, le narrateur semble fondre sa voix avec celle de Tatarski, soulignant son regard de plus en plus cynique.
20L’apprentissage de Tatarski dans le nouveau monde du capitalisme et son adaptation à la nouvelle économie de marché ne seraient pas achevés si le héros n’accomplissait pas aussi une dernière mutation très représentative du passage à la période postsoviétique. Dans le premier chapitre du roman, le narrateur raconte comment le héros fait une découverte d’ordre mystique en lisant des vers de Pasternak avant de se mettre à écrire lui-même de la poésie. Le narrateur parodie ici un élément très important de la culture russe, l’intelligentsia. Notion qu’il n’est pas aisé de définir, l’intelligentsia représente un groupe de personnes apparu au XIXe siècle et qui a pris conscience de la nécessité de s’opposer au pouvoir politique et de servir le peuple en utilisant la littérature comme medium. La définition de Liudmila Parts comme « mythe culturel » (2004, p. 435) plus que comme réalité sociologique semble très adaptée. En parlant de « mythe culturel », Parts peut souligner les caractéristiques implicites comprises dans la notion d’intelligentsia, à savoir une confiance dans la culture et la littérature russe. La période postsoviétique a vu l’éclosion de nombreux débats sur l’évolution d’une intelligentsia marginalisée dans la nouvelle économie de marché et dans une société de plus en plus visuelle et moins centrée sur la langue.
21Or, tout le parcours de Tatarski est le récit d’un personnage promis à une carrière dans l’intelligentsia, mais qui se métamorphose pour s’adapter à la nouvelle société capitaliste. Au début du roman, le héros semble amorcer une carrière dans les belles-lettres. À la suite de sa révélation lors de la lecture des vers de Pasternak, il s’inscrit à l’université en littérature et envisage son avenir comme celui d’un membre de l’intelligentsia :
[D]ans la journée, des cours devant des auditoires clairsemés et des traductions mot à mot de l’ouzbek ou du tadjik, qu’il mettrait en rimes pour des célébrations officielles; et le soir, un véritable travail d’écriture pour la postérité, ou plutôt pour l’éternité puisqu’il n’avait pas de descendants. (Z, p. 17)
22Mais rapidement, le héros comprend que, dans le nouveau monde postsoviétique, cette carrière n’a que peu de valeur. Cette révélation est rapportée avec beaucoup d’humour par le narrateur qui joue d’un procédé d’« étrangisation » en décrivant des chaussures poussiéreuses que le personnage entrevoit dans un magasin et auxquelles il se compare pour conclure que lui non plus n’est plus au goût du jour. Enfin, c’est dans une phrase très ironique que le narrateur présente la fin définitive de la carrière de Tatarski comme intellectuel : « Il n’écrivit plus de poèmes. La fin du pouvoir soviétique leur avait fait perdre leur valeur. » (Z, p. 18)
23Toute la suite du roman montre comment Tatarski se détache des milieux intellectuels. Tout d’abord, il choisit d’exercer une profession portant le nom anglais de « creator », avatar capitaliste et dégradé de la notion russe d’intelligentsia. En mettant son talent au service de la rédaction publicitaire, le héros détourne le mythe de l’intelligentsia russe. Au lieu de servir de guide spirituel pour le pays, il met le langage au service d’une autre fin, celle de la vente et de la consommation. Il détourne la littérature russe dans ses slogans publicitaires et fait de nombreuses allusions à des écrivains qui sont autant de citations irrespectueuses des icônes de la culture russe. Un passage du roman cite explicitement un critique littéraire existant réellement, Pavel Basinskii4. Dans des latrines en bois, Basinskii, désigné comme tel par un écriteau en surimpression, réitère l’éternel débat slavophiles / occidentalistes5 sur la position de la Russie entre Orient et Occident que Pelevine parodie allègrement. Quand soudain les planches craquent, un slogan apparaît :
GUCCI FOR MEN
SOIS EUROPEEN. SENS BON. (Z, p. 205)
24Aussi le parcours du héros dans la compréhension de la réalité passe-t-il également par la prise de conscience de la métamorphose de l’intelligentsia dans la nouvelle société capitaliste. Le parcours de Tatarski semble alors achevé lorsqu’il peut formuler de façon très lucide le parcours qu’il a suivi depuis le début et qui lui a permis de réussir financièrement dans cette nouvelle société. Lorsqu’Azadovski demande à Tatarski s'il n’a pas peur de ne pas savoir ce que signifie « l’inconscient collectif », Tatarski lui répond :
Monsieur Azadovski, je n’en ai pas peur. Je le crains d’autant moins que tous ceux qui savent avec précision ce que c’est, ils vendent depuis belle lurette des cigarettes aux sorties du métro. Sous une forme ou une autre, je veux dire. J’ai moi-même vendu des cigarettes près du métro. J’en suis sorti pour faire de la pub : j’en avais trop marre. (Z, p. 197)
25En formulant aussi clairement le chemin qu’il a suivi en fait très naïvement au gré des circonstances, Tatarski exprime sa maîtrise désormais entière de la réalité sociale. Cette phrase montre de façon tranchée les deux possibilités qui étaient offertes à l’intelligentsia au moment de la chute de l’URSS : vivre en marge de la société capitaliste ou s’adapter en cherchant à gagner de l’argent6. Tatarski a choisi la deuxième solution en détournant le mot et la littérature vers la consommation. La portée de cette satire sociale est encore plus forte si l’on considère les paroles de Tatasrki dans les derniers chapitres du roman. Ayant définitivement compris sa nouvelle position sociale et sa mission qui n’est plus d’éveiller le peuple, mais bien de le tenir endormi, il va même jusqu’à décider d’annihiler l’intelligentsia et de la transformer en classe moyenne :
De manière à couper cette tendance à la racine, nous proposons, dans le cadre de la conception présentée ici, d’utiliser la méthode mise au point conjointement par le MI-5 et la CIA pour neutraliser, dans les pays du tiers-monde, les restes de l’intelligentsia fidèle aux valeurs nationales (nous partons du principe que la classe moyenne russe est justement composée d’une intelligentsia qui cesse de penser aux intérêts nationaux pour se focaliser sur les moyens de faire de l’argent). (Z, p. 261)
26Ainsi, la dédicace du roman devient claire : « À la classe moyenne ». L’évolution sociale est présentée de façon telle que la nouvelle société fonctionne sur une intelligentsia transformée en classe moyenne, qui a perdu en définitive le sens du mot et qui est bernée par la nouvelle réalité visuelle.
27La posture ironique du narrateur et le regard naïf du personnage qui s’ouvre de plus en plus sur le nouveau monde permettent de représenter l’évolution de la société russe tout au long des années 90 et sa prise de conscience progressive des réalités de son pays : les nouvelles divisions sociales, le petit groupe formé par les nouveaux russes qui s’est partagé les richesses du pays, la marginalisation sociale de l’intelligentsia, la fin de la croyance dans la littérature et la nouvelle fascination pour le virtuel qui la rend beaucoup plus manipulable. On peut donc lire le personnage de Tatarski à la fois comme une représentation de la conscience russe s’éveillant progressivement à la compréhension de son pays et comme l’incarnation du type social détesté par la majorité de la population en raison de sa nouvelle réussite financière. À la fin du roman, l’enfermement du personnage dans le virtuel peut être lu comme un sacrifice, selon le sens donné à ce mot par René Girard dans Mensonge romantique et vérité romanesque(1999), sacrifice qui permet de rééquilibrer les violences contenues dans la société.
28Ce piège dans lequel Tatarski s’enferme progressivement sans le savoir, et ce, jusqu’à son sacrifice final, est marqué par le mouvement circulaire du texte, de l’espace et du mythe.
29De son éveil dans la société postsoviétique jusqu’à son sacrifice final, qui apparaît comme un châtiment infligé pour expier le crime du virtuel, Tatarski est pris dans un mouvement circulaire où signes, textes, mythes et espaces ne cessent de se reproduire. Ainsi le mouvement du texte qui emprisonne progressivement le personnage participe-t-il lui aussi de l’anti-quête du héros.
30À la fin du roman, alors qu’il est conduit en voiture dans la datcha d’Azadovski, le grand magnat de la télévision, Tatarski repasse devant le bâtiment qu’il a pris au début du roman pour une ziggourat et dans lequel il avait eu des hallucinations sous l’effet de drogues. Blow lui explique qu’il s’agit d’une station de défense antimissile qu’Azadovski projette de privatiser pour en faire sa résidence. L’espace semble faire une boucle, et Tatarski comprend que, depuis le début, le lieu où il pense s’être évadé par la drogue est en fait un endroit surveillé par le gros bonnet de la télévision et créateur de la réalité. Tatarski commence à comprendre qu’alors qu’il cherche à voir, c’est lui qui est vu depuis le début.
31De plus en plus inquiet de son sort, Tatarski dit : « On me tient donc pour un hamster, murmura-t-il pensivement. » (Z, p. 278) Tatarski est observé comme un rongeur dans l’espace rétréci d’une cage.
32Le mythe de la déesse Ishtar cherchant son mari, qui lui est apparu au début de l’histoire, lorsqu’il a arpenté cette tour anti-missile en pensant escalader une ziggourat, réapparaît à la fin du roman. La fin du mythe est alors donnée : le mari de la déesse s’est endormi au sommet de la ziggourat. Désormais, la déesse cherche un nouvel époux, et elle a désigné Tatarski, lui qui s’est effectivement endormi au sommet d’une ziggourat au début du roman. Son destin était déjà prédit dès les premiers chapitres. Tatarski est donc enfermé dans l’espace et dans le mythe qui se resserrent progressivement autour de lui.
33Le dernier effet circulaire apparaît dans le jeu avec le Pepsi-Cola qui marque l’achèvement de l’adaptation de Tatarski à la réalité capitaliste. Le récit commence naïvement par la présentation de la génération qui boit du Pepsi sur les plages l’été : « Il est vrai qu’il vivait jadis, en Russie, une jeune génération insouciante qui souriait à l’été, à la mer et au soleil. Et préférait Pepsi. » (Z, p. 13)
34En choisissant Pepsi, cette génération avait l’impression de s'approprier la liberté de l’Ouest. Mais juste avant d’être scanné, c'est-à-dire d’être emprisonné à jamais, Tatarski a alors une illumination et s’adresse ainsi à la personne qui doit procéder à sa numérisation :
— Comment ça, fit Tatarski. Je me dis que notre génération, qui a choisi Pepsi… Car vous aussi, vous avez choisi Pepsi dans votre jeunesse, n’est-ce pas?
C’était ça ou rien… (Z, p. 304)
35Tatarski comprend que sa génération a été bernée en choisissant Pepsi. Tous pensaient choisir la liberté contre l’idéologie, mais en réalité, ils choisissaient une nouvelle idéologie, celle de l’Occident consumériste.
36La révélation finale du personnage achève de le transformer en personnage cynique. Il demande à sa secrétaire que l’on ne serve plus de Pepsi au buffet, mais du Coca-cola. Le Pepsi étant le leurre présent dans tout le roman : il pensait avoir choisi la liberté quand en fait, il avait choisi son emprisonnement et sa mort dans la réalité virtuelle du capitalisme.
37Le réel apparaît dans le roman comme une révélation progressive qui prend la forme d’un parcours initiatique. Reprenant la structure du conte, ce roman montre l’anti-quête du héros à la recherche de la compréhension de ce qui construit la réalité. Lorsque ce dernier découvre la virtualité qui sous-tend le réel, le lecteur est alors invité, dans un mouvement circulaire à l’image du roman, à relire le texte avec un regard nouveau. Si l’instance dirigeante du réel a disparu, le réel lui-même apparaît comme un leurre. Il n’y a donc plus aucun socle sur lequel ce réel puisse reposer. Ce qui fait tenir l’ensemble du système, c’est l’argent, alors que la parole elle-même, entraînée dans un jeu sans fin, semble ne plus pouvoir contenir la réalité.
L’impulsion vers le réel
38Le parcours de Tatarski a donc été manipulé depuis le début. Plus sa compréhension du réel progresse, plus il voit que c’est l’argent qui tient tout ce système ensemble. Les créateurs du virtuel inculquent aux clients ce qu’ils doivent acheter et, inversement, les clients inculquent aux concepteurs publicitaires les produits qu’il faut vanter. Plus le roman avance, plus la réalité semble se réduire à un ensemble d’objets que l’on désire acquérir de façon pulsionnelle, par des « wow impulsions », comme l’explique Che Guevara au héros lors d’une séance de spiritisme. Ainsi, le regard de Tatarski se porte de plus en plus souvent sur les objets-signes de la réussite sociale. Comme le montre la phrase suivante, où le héros observe le comportement d’un de ses collègues : « À peine avait-il prononcé cette phrase, qu’il tomba sous l’influence du wow-anal : il sortit de sa poche un téléphone mobile du dernier cri et le tripota ostensiblement avant de passer un coup de fil inutile. » (Z, p. 127). Ou encore la phrase suivante : « Chacun essaie de montrer à l’autre qu’il a atteint la liberté et, en fin de compte, sous des couverts d’amitié et de vie sociale, nous nous imposons les uns aux autres des vestes noires, des téléphones mobiles et des cabriolets avec des sièges en cuir. » (Z, p. 136-137) De même, les images et les marques de voitures se font de plus en plus pressantes sur les lèvres de Tatarski comme signe de réussite sociale :
Un 4X4 rouge équipé d’une rangée de six projecteurs sur le toit s’arrêta à leur droite. Tatarski regarda le conducteur. C’était un homme au front bas et aux arcades sourcilières saillantes, dont presque toute la peau était couverte d’épais poils noirs. Il caressait le volant d’une main et serrait, de l’autre, une bouteille de Pepsi. Tatarski se dit que la voiture de Morkovine était nettement plus cool, et il ressentit l’influence d’un wow-facteur anal, très rare dans sa vie. Ce sentiment était fascinant. Il sortit le coude par la fenêtre, but une gorgée de bière en boîte et toisa l’homme du 4X4 avec le regard du marin d’un porte-avions pour le Pygmée sur un radeau qui essaye de lui vendre des bananes pourries. Les yeux de l’homme croisèrent ceux de Tatarski et s’y accrochèrent. Comme leur échange de regards se prolongeait, Tatarski sentit que l’autre percevait la situation comme une invitation au combat. Lorsque le feu passa au vert, la fureur bouillait au fond des yeux peu profonds du type. (Z, p. 189)
39Dans cette réalité articulée par l’argent, le réel finit par devenir un tissu d’objets que l’on désire de plus en plus obtenir. Le langage, lui, se désarticule et se désagrège pour s’adapter à la profusion de ces objets-impulsions.
40En abandonnant l’écriture poétique de l’intelligentsia, Tatarski avait l’impression de parvenir, par l’écriture publicitaire, à une véritable maîtrise du réel. Il ne comprend même plus comment il a pu travailler de façon poétique : « Plus le temps passait et plus il avait du mal à croire que, dans son passé, il avait consacré tant d’énergie à la recherche de ces rimes privées de sens auxquelles la poésie des économies de marché avait depuis longtemps renoncé. » (Z, p. 135) Dans sa quête pour comprendre la nouvelle réalité, l’écriture publicitaire joue tel un facteur jubilatoire. Rédiger des slogans lui donne l'impression de pouvoir créer sans fin devant une réalité qui n’a plus de sens. Par exemple, lorsque, dans un moment d’hallucination sous l’effet de drogues, il ramasse différents objets, il se demande ce qu’il peut bien en faire. Ne trouvant pas de solution devant cet éparpillement, une idée de publicité lui vient à l’esprit : « Cette pensée le plongea dans une mélancolie tellement profonde qu’au fond il aperçut soudain une lumière : une idée de slogan et d’affiche pour Parliament lui traversa l’esprit. Il sortit hâtivement son calepin et se mit à griffonner. » (Z, p. 63)
41En jouant avec les mots, Tatarski a l’impression de recréer lui-même un sens pour le réel. Le rapport ludique aux mots lui donne la sensation d’un pouvoir nouveau, ce qui l’entraîne à pousser le sens des mots et des éléments culturels qu’il utilise au-delà de toute limite. À la fin du roman, il atteint un stade divin, mais alors, la liberté infinie dont il pensait jouir laisse place à l’emprisonnement à perpétuité dans le virtuel. En effet, la langue et son pouvoir structurant se sont dissous au profit du virtuel. On pourrait citer ici une analyse de Lionel Ruffel sur le roman français contemporain : « Vivre avec les spectres d’images, dans un monde où la logique iconique est dominante, dans un monde où présence et absence se conjuguent dans ce qu’il est convenu d’appeler le virtuel serait alors, au-delà de la littérature, un enjeu de la vie contemporaine. » (2004, p. 115)
42À côté de l’histoire de Tatarski découvrant peu à peu la réalité, on peut lire l’histoire de la déconstruction progressive du langage par les slogans publicitaires du héros, conduisant à un vide dans lequel il doit désormais vivre. Tatarski ne se rendait pas compte, en cherchant le sens de la réalité, qu’il jouait avec elle en travaillant avec le langage. C’est peut-être ainsi que l’on peut lire la morale du conte, dans le danger de se dissoudre dans des jeux de langage qui ne sont plus accrochés à rien d’autre qu’au vide. Pensant maîtriser de plus en plus le réel, Tatarski creuse le néant de signification dans lequel, à la fin du roman, il est condamné à vivre.
43Ce jeu avec les signes repose pour beaucoup sur les éléments de la culture et de la littérature russe que toute la population russe connaît et qui peut lui parler facilement dans l’écriture publicitaire. Ainsi, on observe différents glissements du signifiant, pour l’analyse desquels nous allons avoir recours à la version russe du texte, car les jeux de mots trouvent leur signification dans l’essence de la langue. On peut analyser ainsi le clip publicitaire que Tatarski élabore durant une nuit d’hallucinations alors qu'il désire vanter la reconstruction de la cathédrale du Christ Sauveur dans Moscou. L’original de cette église a été détruit en 1931 sur ordre de Staline qui l’a transformé en piscine. Boris Eltsine, soucieux de regagner les faveurs de la hiérarchie orthodoxe, l’a fait reconstruire en 1997 en guise de symbole de la renaissance de la spiritualité russe. Tout d’abord, l’idée qui vient à l’esprit de Tatarski est la suivante : « Христос спаситель: солидный господь для солидных господ » (Π, p. 177). Cette phrase a été traduite dans la version française par : « Christ Sauveur : Un Seigneur solide pour des hommes de poids. » (Z, p. 162) La traduction ne rend pas la finesse de cette phrase. Le jeu de mot réside dans le terme « gospodin », dérivé du Moyen Âge, où il désigne un seigneur, alors que dans sa version moderne, il signifie « monsieur ». On pourrait traduire « Un Seigneur solide pour des messieurs solides » pour tenter de garder l’identité étymologique. Puis, regardant ce qu’il a écrit cette nuit-là, Tatarski découvre qu’il a aussi joué sur le mot cloche, qui se dit en russe : « kolokol » et auquel il associe « Coca-cola » pour la sonorité du mot et de l’objet. Lorsqu’on agite une canette dont la languette est tombée à l’intérieur, cela fait comme une clochette. Ainsi, il imagine combiner le Coca et le « kolokol », arrivant à des associations très inattendues : « Koka-kolgotki, koka-kolbaski, koka-kolmyskie raskazy » (Π, p. 180). Cela signifie : « coca-collants », « coca-saucisse », « coca-kolyma ». Si la signification semble amusante, il n’en demeure pas moins que l’aspect fortement irrévérencieux, voire sacrilège, de ces jeux de mots à la dérive est évident. L’association de la cloche d’église au mot « collant » ou au mot « saucisse » est dégradante. De même que l’association du Coca et des récits de la Kolyma, roman concentrationnaire de Varlam Chalamov, semble toucher très profondément les éléments fondamentaux de l’histoire et de la culture russe, et montrer que l’on peut jouer avec eux à l’infini.
44L’aspect fascinant du langage, au mépris du sens qu’il contient, envoûte de plus en plus Tatarski. Le héros va même jusqu’à souligner combien l’enchantement du langage est un élément qui le captivait sous le régime socialiste. IL découvre que, durant son enfance, il a déjà vu Khanine, nouveau magnat des medias et ancien membre du parti. Celui-ci était venu faire des discours à un camp de pionniers lorsque le héros était komsomol, c’est-à-dire membre d’une organisation de jeunesse communiste. Tatarski s’écrie alors : « Vous ne pouvez pas savoir à quel point je vous enviais. J’ai compris ce jour-là que je ne parviendrai jamais à jongler avec les mots comme vous. Ce que vous disiez n’avait aucun sens, mais les phrases vous prenaient à l’âme, de sorte que tout devenait clair. » (Z, p. 141) Tatarski a en réalité réussi à jongler avec les mots comme le faisait Khanine, mais il le fait sous un tout autre régime idéologique, celui de la consommation, et non plus celui du communisme. Il y a ici une parenté entre le discours totalitaire qui s’impose aux masses et le nouveau discours idéologique de la publicité qui fascine la population postsoviétique pour la faire consommer.
45La désagrégation du langage apparaît aussi dans le texte lui-même, progressivement envahi par les mots anglais. De sorte que le texte russe semble se dissoudre dans une autre langue. Comme si le russe n’avait plus de limites et de frontières déterminées, mais pouvait intégrer de plus en plus de mots étrangers. Cette combinaison de la langue apparaît de façon très nette dans la facture même du texte. Au début, l’anglais surgit quand Tatarski comprend que son travail va consister à adapter le système publicitaire états-unien à la mentalité russe. Son premier patron le lui dit en ces termes :
Cela veut dire que les marchandises occidentales vont couler à flots. Et, pour s’imposer, elles auront besoin de pub. Mais il est impossible de traduire mot à mot une pub de l’anglais vers le russe parce que… Comment on traduit cultural references, déjà? Bref, il faudra adapter de toute urgence la pub à l’esprit et au goût du consommateur russe. (Z, p. 37)
46Or, le mot anglais devient de plus en plus jubilatoire pour Tatarski, qui utilise des jeux de mots qui sont le produit d’un collage entre les deux langues. Reste que les publicités ne peuvent plus s’adresser qu’à une minorité d’anglophones.
47Dans ce débordement de la langue, les signifiants finissent par s’emballer au-delà de toute limite, se réduisant à un jeu sonore qui est censé faire vendre en créant des impulsions. Le langage ne signifie donc plus rien et tourne à vide dans des spots publicitaires qui vendent de l’impulsion. On arrive ainsi, dans les derniers chapitres du roman, à une impression de confusion babélienne des langues. Le langage publicitaire devient progressivement davantage un espace de confusion qu’un lieu de compréhension. Comme si les hommes, pris dans le désir frénétique de la vente et de la consommation, avaient reconstruit la tour de Babel qui les avait de nouveau désunis. L’image de la tour de Babel est présente tout au long du roman. Tout d’abord, lorsque Tatarski essaie de rédiger le premier slogan publicitaire pour Lefortovo, il y fait allusion. Comme si, dès la première page de publicité écrite, le processus de confusion des langues et de disparition de la signification commençait son travail. Ainsi, Tatarski écrit le sort final de la nation russe : « La construction puis la ruine de la tour de Babel, la plaine du Nil inondée [...] », avant d’ajouter : « Les civilisations se succèdent mais la terre reste éternelle. » (Z, p. 30) Enfin, il semble prédire le destin du pays : « Seul demeurait, au-dessus de la surface hurlante, un rocher solitaire dont la forme évoquait la tour de Babel du début du scénario. » (Z, p. 31) Quand il est sous l’effet de la fausse oronge, Tatarski s’écrie :
[B]on sang! Mais c’est la confusion babélienne des langues! Sans doute ces gens buvaient-ils de cette infusion de tue-mouches et les paroles proclamèrent leur indépendance. Par la suite, on a appelé cela « confusion des langues », alors qu’il serait plus correct de dire « confusion de la langue ». (Z, p. 56)
48Un parallèle s'inscrit tout au long du roman pour comparer la tour de télévision d’Ostankino à la tour de Babel. Enfin, la babélisation des langues finit d’apparaître dans la dernière étape du parcours initiatique de Tatarski, lorsqu’il entre dans le bureau d’Azadovski et que celui-ci est parti. Sa secrétaire lui dit : « Azadovski est parti sur les ruines de Babylone, il est monté sur la tour qui reste. » (Z, p. 208)
49La confusion babélienne des langues semble signifier que plus rien ne peut unifier le réel. Le « ''Grand Autre'' du langage » a dissous le désir dans des impulsions.
50On peut poser comme hypothèse que la transgression des frontières linguistiques dans Homo Zapiens a pour conséquence une rupture de la cohérence garantie par le Grand Autre du langage. Or, le Grand Autre est aussi le garant de la liberté individuelle. Sans le Grand Autre du langage, la société se dissout dans le virtuel. Le seul chaînon qui semble encore unifier le réel est l’argent, qui fait tenir l’ensemble du système de la même façon que le signifiant tient la subjectivité. Le réel a été retenu et rassemblé sous l’URSS de façon artificielle par une langue idéologisée. Dans la Russie des années 90, la langue envahie par l’anglais et décomposée par la publicité ne peut plus tenir le réel assemblé. Aussi Tatarski peut-il écrire avec lucidité :
51Dans les medias on discute depuis longtemps de la nécessité d’opposer quelque chose de sain et de national à l’emprise de la culture pop américaine et du libéralisme des cavernes. Le problème est de trouver ce « quelque chose ». Dans ce compte rendu interne qui n’est pas destiné à des yeux étrangers, nous ne pouvons que constater l’absence totale de ce « quelque chose ». Les auteurs de la conception publicitaire bouchent ce trou sémantique par le paquet de Gold Yava7, ce qui aboutira sans aucun doute à une cristallisation psychologique très favorable chez le consommateur potentiel qui considérera inconsciemment qu’à chaque cigarette fumée, il rapprochera un tout petit peu le triomphe planétaire de l’idée russe. (Z, p. 206)
52La disparition du « Grand Autre » du langage conduit le roman à se résoudre dans le vide. Or, ce « trou sémantique » évoqué dans le texte ci-dessus apparaît deux fois dans le roman sous l’occurrence du terme « Gap ». Une première fois dans une publicité pour la marque « Gap », où un vide apparaît entre les jambes de Tchekhov et où le texte suivant s’inscrit :
Russia was always notorious for the gap
Between culture and civilization.
Now there is no more culture,
No more civilization.
The only thing that remains is the
GAP.
The way they see you. (Z, p. 87)
53Une deuxième fois à la fin du texte, dans une publicité où Tatarski joue en quelque sorte dans une publicité pour la chaîne de magasins « Gap » :
Celui-ci [Morkovine], en veste de jean brodée d’or, se trouve à l’intérieur du magasin, devant la vitrine, au moment où Tatarski, en veste ouatinée militaire, jette un pavé contre la vitre pare-balles en criant : « c’était plus dur en Afghanistan! » (slogan : « Enjoy the Gap ! »). (Z, p. 308)
54Dans cette dernière publicité, le mot « Gap » est un retournement de la situation que Tatarski a vécue : il s’agit de jouir du fossé social en tant que riche qui a réussi. Mais on y entend aussi bien sûr une invitation lancée à Tatarski à savourer le vide dans lequel il habite.
55Le roman pose ainsi une question épineuse pour l’identité russe : comment se reconstruire sur le vide de la culture et de la disparité sociale? Le roman fait disparaître toute notion de frontière, car les États-Unis ne sont plus séparés de la Russie par des frontières, mais les deux pays coexistent dans le même monde virtuel. Ainsi, dans ce monde sans frontière, la question clef de la Russie relative à son identité entre Orient et Occident ne semble plus avoir de sens. Cette impasse semble ouvrir la question de l’Empire, demeurée poignante dans une Russie qui ressent la fin de l’URSS comme une humiliation. Cette solution transparaît à travers la voix d’un personnage qui ose encore affirmer : « Mais, nous sommes bien la troisième Rome. Qui se trouve justement sur les rives de la Volga. De là notre auto-suffisance historique et notre dignité nationale. » (Z, p. 269)
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57Pour en savoir plus sur l’auteure, Marie-Laetitia Garric.
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Notes de bas de page numériques:
1 La notion de « postmodernisme » dans la littérature russe reste très imprécise et fait l’objet de débats dans la critique russe quant à sa définition. Elle désigne un nouveau type de littérature apparu dans les cercles « underground » de Moscou et Leningrad et qui s’amuse à parodier les textes du réalisme socialiste ou ceux de la littérature russe réaliste classique du XIXe siècle. Le terme « postmodernisme » est sujet à débats quant aux œuvres que l’on peut y classer. Certains critiques considèrent qu’on peut le faire remonter à Dar (Le Don) de Nabokov. Mais généralement, on considère comme premier roman du postmodernisme russe Puškinski dom de Bitov, écrit en 1971 (1978, 1989) et, surtout, Moskva-Petuški, écrit en 1970 (Erofeev, 2000) (Moscou-sur-Vodka) (Erofeev, 1989).
2 Le titre russe est Generation П et la traduction française Homo Zapiens. Nous utilisons pour l’article les références à la traduction en français (que nous signalerons par le sigle Z) et citerons le titre en français. En revanche, lorsque nous analysons les jeux de mot des slogans publicitaires présentés dans le livre, nous utilisons la version russe, ce que nous signalerons par le sigle П. Le roman russe est paru en 1999, mais nous utilisons la nouvelle édition de 2003.
3 Le terme de « défamiliarisation » ou d’« étrangisation » est une notion mise en place par le critique formaliste russe Victor Chklovski dans son essai de 1917 « Iskoustvo kak priem ». En français, on parle plus souvent d’« étrangisation » (Chklovski, 1973, p. p. 110-113) ou bien de « singularisation » (Todorov, 2001, p. 83-97). Ce procédé littéraire vise à faire ressortir un côté inattendu, imprévu, comme si l’objet nous était présenté pour la première fois. Ici, la naïveté du héros offre un regard nouveau sur la réalité.
4 Le critique Basinskii a lui-même répondu à l’attaque directe de Pelevine dans un article que nous citons en anglais (2000).
5 Débat apparu au XIXe siècle avec la publication par le philosophe Tchaadaev des Lettres philosophiques soulignant la position particulière de la Russie, aux marges de l’Europe et de l’Asie, mais destinée à montrer le chemin à l’Europe à la fin des temps.
6 Pelevine règle lui aussi ses comptes avec l’intelligentsia postsoviétique, qui rejette ses romans comme une dégradation de la littérature russe.
7 Yava est la cigarette du pauvre. L’association Gold Yava est une sorte d’oxymore comique.
Pour citer cet article : Marie-Laetitia Garric, «Anti-utopie et « virtualisation » du réel dans Homo Zapiens de Viktor Pelevine», @nalyses [En ligne], Dossiers, Fiction et réel, mis à jour le : 26/03/2009, URL : http://www.revue-analyses.org/index.php?id=1356.
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