mercoledì 13 aprile 2011
da 'Nadja' [André Breton, 1928]
Le mépris qu’en général je porte à la psychiatrie, à ses pompes et à ses oeuvres, est tel que je n’ai pas encore osé m’enquérir de ce qu’il était advenu de Nadja. J’ai dit pourquoi j’étais pessimiste sur son sort, en même temps que sur celui de quelques êtres de son espèce. Traitée dans une maison de santé particulière avec tous les égards qu’on doit aux riches, ne subissant aucune promiscuité qui pût lui nuire, mais au contraire réconfortée en temps opportun par des présences amies, satisfaite le plus possible dans ses goûts, ramenée insensiblement à un sens acceptable de la réalité, ce qui eût nécessité qu’on ne la brusquât en rien et qu’on prît la peine de la faire remonter elle-même à la naissance de son trouble, je m’avance peut-être, et pourtant tout me fait croire qu’elle fût sortie de ce mauvais pas. Mais Nadja était pauvre, ce qui au temps où nous vivons suffit à passer condamnation sur elle, dès qu’elle s’avise de ne pas être tout à fait en règle avec le code imbécile du bon sens et des bonnes moeurs. Elle était seule aussi : « C’est, par moments, terrible d’être seul à ce point. Je n’ai que vous pour amis », disait-elle à ma femme, au téléphone, la dernière fois. Elle était forte, enfin, et très faible, comme on peut l’être, de cette idée qui toujours avait été la sienne, mais dans laquelle je ne l’avais que trop entretenue, à laquelle je ne l’avais que trop aidée à donner le pas sur les autres : à savoir que la liberté, acquise ici-bas au prix de mille et des plus difficiles renoncements, demande à ce qu’on jouisse d’elle sans restrictions dans le temps où elle est donnée, sans considération pragmatique d’aucune sorte et cela parce que l’émancipation humaine, conçue en définitive sous sa forme révolutionnaire la plus simple, qui n’en est pas moins l’émancipation humaine à tous égards, entendons-nous bien, selon les moyens dont chacun dispose, demeure la seule cause qu’il soit digne de servir. Nadja était faite pour la servir, ne fût-ce qu’en démontrant qu’il doit se fomenter autour de chaque être un complot très particulier qui n’existe pas seulement dans son imagination, dont il conviendrait, au simple point de vue de la connaissance, de tenir compte, et aussi, mais beaucoup plus dangereusement, en passant la tête, puis un bras entre les barreaux ainsi écartés de la logique, c’est-à-dire de la plus haïssable des prisons. C’est dans la voie de cette dernière entreprise, peut-être, que j’eusse dû la retenir, mais il m’eût fallu tout d’abord prendre conscience du péril qu’elle courait. Or, je n’ai jamais supposé qu’elle pût perdre ou eût déjà perdu la faveur de cet instinct de conservation — auquel je me suis déjà référé — et qui fait qu’après tout mes amis et moi, par exemple, nous nous tenons bien — nous bornant à détourner la tête — sur le passage d’un drapeau, qu’en toute occasion nous ne prenons pas à partie qui bon nous semblerait, que nous ne nous donnons pas la joie sans pareille de commettre quelque beau « sacrilège », etc. Même si cela ne fait pas honneur à mon discernement, j’avoue qu’il ne me paraissait pas exorbitant, entre autres choses, qu’il arrivât à Nadja de me communiquer un papier signé « Henri Becque74 » dans lequel celui-ci lui donnait des conseils. Si ces conseils m’étaient défavorables, je me bornais à répondre : « Il est impossible que Becque, qui était un homme intelligent, t’ait dit cela. » Mais je comprenais fort bien, puisqu’elle était attirée par le buste de Becque, place Villiers, et qu’elle aimait l’expression de son visage, qu’elle tînt et qu’elle parvînt, sur certains sujets, à avoir son avis. Il n’y a là, à tout le moins, rien de plus déraisonnable que d’interroger sur ce qu’on doit faire un saint ou une divinité quelconque. Les lettres de Nadja, que je lisais de l’oeil dont je lis toutes sortes de textes poétiques, ne pouvaient non plus présen-ter pour moi rien d’alarmant. Je n’ajouterai, pour ma défense, que quelques mots. L’absence bien connue de frontière entre la non-folie et la folie ne me dispose pas à accorder une valeur différente aux perceptions et aux idées qui sont le fait de l’une ou de l’autre. Il est des sophismes infiniment plus significatifs et plus lourds de portée que les vérités les moins contestables : les révoquer en tant que sophismes est à la fois dépourvu de grandeur et d’intérêt. Si sophismes c’étaient, du moins c’est à eux que je dois d’avoir pu me jeter à moi-même, à celui qui du plus loin vient à la rencontre de moimême, le cri, toujours pathétique, de « Qui vive ? ». Qui vive ? Est-ce vous, Nadja ? Est-il vrai que l’au-delà, tout l’au-delà soit dans cette vie ? Je ne vous entends pas. Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi-même ?
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