« …Mais je m’élèverai, mais j’appellerai l’infamie sur le témoin à charge, je le couvrirai de honte ! Conçoit-on être témoin à charge ?... quelle horreur ! il n’y a que l’humanité qui donne de pareils exemples de monstruosité ! Est-il une barbarie plus raffinée, plus civilisée, que le témoignage à charge ?...
Dans Paris, il y a deux cavernes, l’une de voleurs, l’autre de meurtriers ; celle des voleurs c’est la Bourse, celle des meurtriers c’est le Palais de Justice ».
(Petrus Borel).
Dix journaux : Les Nouvelles Littéraires, l’Œuvre, Paris-Midi, Le Soir, Le Canard enchaîné, le Progrès médical, Vossische Zeitung, le Rouge et le Noir, la Gazette de Bruxelles et le Moniteur du Puy-de-Dome, se sont, à ma connaissance, fait l’écho de la polémique soulevée par la Societé Médico-Psychologique autour d’un Passage de mon livre : Nadja : « Je sais que si j’étais fou, et depuis quelques jours interné, je profiterais d’une rémission que me laisserait mon délire pour assassiner avec froideur un de ceux, le médecin de préférence, qui me tomberaient sous la main. J’y gagnerais au moins de prendre place, comme les agités, dans un compartiment seul. On me ficherait peut-être la paix ». La plupart de ces journaux, préoccupés surtout de tirer de l’incident un parti humoristique, se sont bornés, d’ailleurs, à commenter la réplique ridicule de M. Pierre Janet : « Les ouvrages des surréalistes sont des confessions d’obsédés et de douteurs » et à rééditer les plaisanteries qui sont en effet toujours de mise chaque fois que l’aliéniste prétend avoir à se plaindre de l’aliéné, le colonisateur du colonisé, le policier de celui qu’au hasard ou non il arrête. Mais il ne s’est trouvé personne pour faire justice de l’ahurissante prétention du D r de Clérambault qui, non content de solliciter à cette occasion la protection de l’ « autorité » contre les surréalistes, gens qui d’après lui ne songent qu’à « s épargner la peine de la pensée » (sic), ne craint pas de soutenir que aliéniste doit être garanti contre le risque d’être mis prématurément à la retraite… pour peu qu’il s’avise de tuer un malade évadé ou libéré par qui il se juge menacé. En pareil cas, une solide compensation pécuniaire devrait, paraît-il, intervenir. Il est clair que les psychiatres, habitués à traiter les aliénés comme des chiens, s’étonnent de ne pas être autorisés, même en dehors de leur service, à les abattre. On conçoit, d’après ses déclarations, que M. de Clérambault n’ait pu trouver à mieux exercer ses brillantes facultés que dans le cadre des prisons et l’on s’explique qu’il porte le titre de médecin chef de l’infirmerie spéciale du dépôt près la Préfecture de police. Il serait surprenant qu’une conscience de cette trempe, qu’un esprit de cette qualité n’eut pas trouvé le moyen de se mettre entièrement à la disposition de la police et de la justice bourgeoises. M’est-il permis de dire, toutefois, que c’est là à certains yeux une compromission suffisante pour que l’on ne puisse, sans se faire injure à la science, tenir pour des savants des hommes qui, au même titre que le scandaleux M. Amy, de l’affaire Almazian, ont avant tout pour fonction de servir d’instruments à la répression sociale ? Oui, j’affirme qu’il faut avoir perdu tout sens de la dignité (de l’indignité) humaine pour oser se commettre en Cour d’assises afin d’y jouer le rôle d’expert. Qui ne se souvient de la controverse édifiante entre experts aliénistes lors du procès de la belle-mère criminelle, Mme Lefèvre, à Lille ? J’ai vu, pendant la guerre, le cas que la justice militaire faisait des rapports médico-légaux, — je veux dire que les experts aliénistes toléraient qu’on fit de leurs rapports, puisqu’ils continuaient à se prononcer alors que les pires condamnations allaient parfois jusqu’à sanctionner leurs rares demandes d’acquittement, fondées sur la reconnaissance de l’irresponsabilité « totale » du prévenu. Peut-on penser que la justice civile est mieux éclairée, que les experts sont moralement en meilleure posture dès lors : 1° que l’article 64 du Code pénal n’admet l’innocentement de l’inculpé qu’au cas où il serait admis qu’il « était en état de démence au temps de l’action, ou qu’il y a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister » (texte philosophiquement incompréhensible) ; 2° que l’ « objectivité » scientifique qui se donne comme auxiliaire de l’ « impartialité » illusoire de la justice dans le domaine qui nous occupe, est à elle seule une utopie ; 3° qu’il est bien entendu — la société ne cherchant pas en réalité à frapper le coupable, mais l’antisocial — qu’il s’agit, avant tout, de satisfaire l’opinion publique, cette bête immonde incapable d’accepter que l’infraction ne soit pas réprimée parce que celui qui l’a commise n’a été malade que pendant cette infraction, en sorte que la séquestration médicale, admise à la rigueur comme sanction, ne se défend plus ? Je dis que le médecin qui consent, en pareilles conditions, à se prononcer devant les tribunaux, si ce n’est systématiquement pour conclure à l’irresponsabilité complète des accusés, est un crétin ou une canaille, ce qui est la même chose. Si l’on tient compte, d’autre part, de l’évolution récente de la médecine mentale et ceci du seul point de vue psychologique, on constate que sa démarche principale tient dans la dénonciation de plus en plus abusive de ce qui, à la suite de Bleuler, a été nommé l’autisme(égocentrisme), dénonciation bourgeoisement des plus commodes puisqu’elle permet de considérer comme pathologique tout ce qui n’est pas chez l’homme l’adaptation pure et simple aux conditions extérieures de la vie, puisqu’elle vise secrètement à épuiser tous les cas de refus, d’insoumission, de désertion qui paraissaient ou non jusqu’ici dignes d’égards (poésie, art, amour-passion, action révolutionnaire, etc.). Autistes aujourd’hui les surréalistes (pour M. Janet, — et pour M. Claude, sans doute). Autiste hier ce jeune agrégé de physique examiné au Val-de-Grâce parce qu’incorporé au n me régiment d’aviation il « n avait pas tardé à manifester son désintérêt pour l’armée et avait fait part à ses camarades de son horreur pour la guerre qui n’était, à ses yeux, qu’un assassinat organisé ». (Ce sujet présentait, au dire du P r Fribourg-Blanc qui publie le résultat de ses observations dans les Annales de Médecine légale de février 1930, des « tendances schizoïdes évidentes »). Qu’on en juge plutôt : « Recherche de l’isolement, intériorisation, désintérêt de toute activité pratique, individualisme morbide, conceptions idéalistes de fraternité universelle ». Autistes demain au témoignage infâme de ces messieurs, c’est-à-dire d’un instant à l’autre détournables de la voie dans laquelle leur seule conscience les engage, c’est-à-dire confiscables à volonté, tous ceux qui s’obstinent à ne pas acclamer les mots d’ordre derrière lesquels cette société se cache pour tenter de nous faire participer sans exception possible à ses méfaits. Nous tenons ici à honneur être les premiers à signaler ce péril et à nous élever contre l’insupportable, contre le croissant abus de pouvoir de gens en qui nous sommes prêts à voir moins des médecins que des geôliers, et surtout que des pourvoyeurs de bagnes et d’échafauds. Parce que médecins, nous les tenons pour moins excusables encore que les autres d’assumer indirectement ces basses besognes exécutrices. Tout surréalistes ou « procédistes » qu’à leurs yeux nous sommes, nous ne saurions trop leur recommander, même si certains d’entre eux tombent par accident sous les coups de ceux qu’ils cherchent arbitrairement à réduire, d’avoir la décence de se taire.
André BRETON.
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